Le photographe Yves Garneau, ainsi que d’autres caractères connus à Verbier, s’aventurent en direction du Nord, très loin de tout confort.
1ère partie : Le long trajet à l’aller
Notre équipe fut prête à partir, habillée pour l’occasion, à 14h, l’après-midi du 26 avril. Nous avions planifié cette expédition pendant les six derniers mois et nous étions enfin arrivés au jour-J. Tout, des téléphones satellite aux panneaux solaires, avait été acheté, testé et empaqueté. Nous avions passé une heure au stand de tir local de Longyearbryn la veille au soir avant de nous familiariser avec les fusils de la deuxième guerre mondiale que nous avions loués pour l’occasion, en cas d’une rencontre peu probable avec un ours polaire.
[quote_left]Nous sommes partis sous la lumière perpétuelle du soleil. L’excitation était palpable et l’environnement qui nous entourait rendait l’expérience d’autant plus exaltante.[/quote_left]A 16h, il n y avait toujours aucun signe de nos guides de motoneige. Ce ne fut pas avant 18h30 que nous nous sommes enfin retrouvés, avec un de nos guides, en bordure de la ville. Il scruta rapidement nos trois pulkas (luges tractables) et nos skis, s’exclamant avec émerveillement « est tout ce que vous avez? »Lorsque notre chargement fut sécurisé, il était environ 21h. Nous sommes partis sous la lumière perpétuelle du soleil. L’excitation était palpable et l’environnement qui nous entourait rendait l’expérience d’autant plus exaltante. Pendant 45km, nous sommes remontés la première vallée, virant à gauche et traversant un immense fjord, où des phoques barbus attendaient au bord des trous dans la glace. Ayant franchi le cap glaciaire de 1100m et s’étant éloignés des montagnes de schiste, une vue inoubliable nous a accueillis, un paysage aride et plat qui s’étendait à perte de vue. Sans GPS, nous nous serions perdu dans la demi-heure.
Huit heures plus tard, nous sommes enfin arrivés à l’emplacement qui deviendrait notre camp de base. Nous avons installé les tentes et creusé un trou pour créer notre future cuisine. Nos guides de motoneige s’étaient endormis depuis longtemps, se reposant pour leur trajet du retour le lendemain. Toutefois, notre responsable de groupe, Hannu Kukkonen (surnommé par la suite ‘L’ Amiral’), a insisté que nous prenions une longueur d’avance avec la mise en place du camp. Ce ne fut que lorsque, dû à la fatigue, nous avons commencé à parler de manière incohérente que nous avons obtenu l’autorisation de nous reposer. L’Amiral a souhaité bonne nuit à tout le monde tout en installant un file-piège autour de nos tentes. Si les ours polaires venaient renifler dans les alentours, le file-piège déclencherait une petite explosion suivie d’une fusée éclairante. Une tactique qui, nous espérerions, nous donnerait assez de temps pour réagir.
2ème partie : Premier ours polaire vu
L’appel a été entendu juste après deux heures de l’après-midi pendant notre première journée de camping. Tous les membres de notre équipe, sauf un, prenaient un petit déjeuner tranquille dans notre cuisine maintenant terminée quand, soudain, le skieur américain Kevin Grabowski a crié de sa position juste à côté du coin cuisine : « Ours polaire ! Je suis très sérieux, venez vite. Je ne rigole pas, il y a un ours polaire. » Fusil à la main, ‘L’Amiral’, suivi de son régiment, s’est glissé à travers le tunnel de sortie pour retrouver Kevin, qui venait de se réveiller, pointant frénétiquement vers le glacier pour indiquer deux petits points noirs se dirigeant lentement vers nous. Nous avions à peine besoin de cligner des yeux pour distinguer des skieurs de randonnée sur le glacier tirant leurs pulkas dans notre direction. « Pas besoin de tirer un coup de semonce alors », laissa échapper un membre de l’équipe, « achètes-toi des lunettes, Kevin. »
Après cette frayeur, il était temps d’explorer. Tout d’abord, nous avons franchi le haut d’un pic directement derrière notre camp. Ayant atteint le sommet, le terrain a complètement changé. Nous ne voyions plus la grande étendue de glacier plat complémentée par des monts vallonnés, mais plutôt de grands pics en granite au terrain accidenté qui n’en finissaient plus. Les vallées étaient étroites et les pics acérés, intimidants. Nous avons skié dans des couloirs vierges de toute trace nous demandant qui avait skié ici auparavant, voire pas du tout.
3ème partie : Les crackers, pas un aliment pour la pause de midi
Le téléphone satellite fonctionnait à merveille ! Nous faisions le point avec notre équipe de soutien en Suisse et recevions les toutes dernières prévisions météorologiques. Ainsi, nous n’avons pas été surpris quand une tempête est venue lors de notre quatrième jour de camping. Alors que la tempête s’installait, nous en avons profité pour nous reposer en rattrapant du sommeil, en lisant et en célébrant le 27ème anniversaire du freeskier suisse, Ilir Osmani. Une fois l’alcool bu et presque tous les livres lus, les discussions ont commencé. La politique, la pornographie et la gastronomie ont fait partie des nombreux sujets que nous avons abordés. Ce qui m’a le plus marqué durant nos échanges, qui prenaient place dans la cuisine, a été le fait que les crackers ne sont pas un aliment à consommer pour la pause de midi. Ce que nous avions originellement acheté comme aliment pour le petit déjeuner disparaissait très rapidement, menaçant de ne nous laisser que des flocons d’avoine. Ceci ne faisait que démontrer l’ennui qui s’installait.
Quand nous nous sommes extirpés de nos tentes, trois jours après le début de la tempête arctique, nous étions étonnés de voir que la neige soufflait encore latéralement et que la température sur le thermomètre à 50 centimes de Kevin indiquait -15°C. Nos sources sur le terrain nous ont dit qu’il fallait s’attendre à des cieux ensoleillés et des températures plus douces. Notre humeur était sombre, c’est le moins que l’on puisse dire. Il était temps de quitter le trou. Ayant pris un café/thé et des flocons d’avoine, qui avaient le goût du souper de la veille, nous nous sommes forcés à sortir pour faire face à la bourrasque et préparer nos skis pour faire un tour. Personne n’avait envie de glander au camp un jour de plus à discuter des crackers.
Notre équipe s’est lancée pour explorer une zone que nous n’avions pas eu occasion d’aller voir auparavant. Nous nous sommes dirigés vers le col à 700m à l’ouest de notre camp. Nous sommes redescendus et avons viré au Nord vers une série de cirques que nous avions repérés sur la carte et qui étaient cachés. A l’approche de deux des cirques, le ciel s’est soudainement dégagé et le vent est tombé presque instantanément. Soudainement, nous nous sommes retrouvés face à un énorme couloir en plein soleil qui n’attendait qu’à être parcouru en ski. C’était dur d’estimer à quel distance était le couloir mais cela n’a pas pris long à trouver des volontaires désireux d’aller explorer.
Notre voyage s’enchaînait à merveille et l’humeur dans le camp semblait intouchable. Bien que nous ayons subi encore une tempête vers la fin de notre séjour de deux semaines, au lieu de parler de garnitures pour les crackers, nous avons fait part des histoires et expériences de ce que nous avions vu pendant cet incroyable voyage. Nous avons également ri de nos sujets de conversation insensés qui nous avaient précédemment tant absorbés, tout en étant troublés par l’odeur qui désormais émanait de nos tentes. Mais surtout, nous avons savouré le fait que nous avions laissé des traces où très rares sont ceux qui avaient skiés auparavant.